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Marie-Claire Mir
27 février 2023

Ecrire un livre sur ma vieillesse

J’ai écrit beaucoup de livres qui sont autant d’endroits pour des morts sans sépulture, des lieux où les morts et les disparus attendent leur costume d’éternité, leur habit de longévité. Je me suis échappée de la vraie vérité en espérant adoucir ma vie, échapper au triste avenir de mon enfance, j’ai creusé un trou dans la pierre du temps, j’ai voyagé dans une campagne qui était comme sillonnée de lignes peuplées de gens que j’ai connus, avec qui j’ai vécu, je leur ai inventé une histoire et j’y ai cru.

Je n’écris que de ma sève et ma sève est tarie, je l’ai trop exploitée, j’ai tiré tout ce que j’ai pu de cette histoire que fut ma vie avec ces personnes qui furent mes proches, je les ai ancrés dans un récit qui me parait constituer désormais une version plausible de ma vie, le sens vécu de mon être au monde, celui qui ne fut jamais formulé autrement qu’au travers de ces dix livres que j’ai écrits, je me suis donné une constitution fictive mais réaliste eu égard à ce que j’ai vécu et à ce dont je me souviens. Je me suis coupée de nombre de membres de ma famille, peut-être aussi de nombre d’amis dont je n’ai, curieusement, plus de nouvelles, parce que pour substituer un univers inventé à l’univers qui me fut donné, il m’a fallu refuser beaucoup de choses, parfois avec agressivité, être critique, dire ce qu’il vaut mieux éviter de dire, percer des secrets que d’aucuns auraient bien voulu laisser enfouis, il m’a fallu beaucoup de force pour ignorer qu’ils ne voyaient pas que j’étais avec eux, même s’il semblait que j’étais contre eux. Il ne faut pas croire ceux qui disent qu’on se découvre en lisant : la lecture peut heurter ses propres convictions au point qu’on ferme le livre ou que l’on considère l’auteur comme un empêcheur de tourner en rond ou de vivre béatement …Et voilà, maintenant tout est apaisé, mais je ne vais plus sur ce terrain, j’aurais peur de me répéter désormais, il y aurait davantage de réminiscences que de création, comme dit Rousseau, lorsque, à peine vieilli mais se sentant vieux, il écrit Les Rêveries du Promeneur solitaire. Je n’ai plus le goût de rôder parmi les mêmes thèmes, les mêmes sessions, je ne veux plus rabâcher …

De fait, je ne sais pas raconter des histoires, faire des romans de lecteurs, écrire des livres qui distraient … je me considère, même modestement , comme un artiste qui puise au fond de soi à une source unique, plus ou moins alimentée et programmée par l’enfance. C’est pour cette raison que j’ai entrepris d’écrire un livre sur ma vieillesse, ce n’est pas un roman, à peine une autobiographie, je n’y crée pas de personnages, je n’y transporte pas des souvenirs troués, c’est un essai, au sens que Montaigne donnait à ce mot, je vais par sauts et par gambades d’un sujet à l’autre, un peu comme j’ai rempli mon fichier de thèse, et quand j’aurai le sentiment que j’ai dit tout ce que j’avais à dire sur chacun des sujets que je me suis promis de traiter, alors je ferai un livre de tout cela. C’est un livre qui n’intéressera pas grand monde, hormis peut-être ceux qui m’aiment ou, à tout le moins, s’intéressent à moi, et voudront savoir ce qui me trottait dans la tête durant les dernières années de ma vie.

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